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Photo du rédacteurLéonie Stolberg

Entre Nudité et Société : 2



L'art du nu, miroir d'oppressions et espace de rébellion

L'art du nu, longtemps célébré comme l'un des sommets de la tradition artistique, a une histoire qui va bien au-delà de la simple esthétique : il est profondément ancré dans des structures de pouvoir, des hiérarchies sociales et des normes excluantes. Derrière l'apparente universalité des corps nus qui ornent les toiles et sculptures des grands maîtres, se cache une politique du regard profondément patriarcale, classiste et raciste. C'est à travers cette lentille critique que l'art du nu, loin de n’être qu’un hommage à la beauté humaine, devient un champ de lutte et de subversion. Dans ce contexte, il est impératif de déconstruire ces représentations pour faire émerger de nouvelles formes de réappropriation et de résistance.


Le nu classique, un miroir d’oppressions structurelles.

Le canon gréco-romain, souvent célébré comme un idéal esthétique intemporel. Si l’on examine de près les sculptures de Praxitèle ou de Polyclète, on comprend que ces corps parfaits – jeunes, minces, musclés, blancs et masculins – incarnent en réalité un modèle social profondément excluant.

Ces corps sont "les corps capables" — un concept qui mérite d’être exploré plus en détail.

À travers cette notion de capacité, l’idéalisme du corps masculin n’est pas seulement une question d’apparence esthétique : il est perçu comme le corps actif, dominant, capable d’agir, de créer, de conquérir. Les corps non conformes – féminins, racisés, ou gros – sont soit invisibilisés, soit représentés sous forme de caricatures grotesques ou de symboles de faiblesse et d’impuissance. Le nu classique n'est alors pas seulement une forme artistique : il devient une construction politique qui valide un ordre social où seuls certains corps sont dignes de visibilité et de respect.


Cette hiérarchie se perpétue à travers les siècles.( même si les canons esthétiques varient en fonction des périodes et des régions, il est indéniable que le modèle blanc reste dominant dans les arts et les médias mondiaux. Cette dominance est le résultat d’un héritage colonial qui a imposé des standards esthétiques européens à l’échelle mondiale, standards qui sont renforcés par des systèmes de pouvoir économiques et médiatiques. Pourtant, des voix comme celles des artistes féministes, décoloniaux et queer, de même que des mouvements sociaux récents, cherchent à déconstruire ces modèles et à réhabiliter la diversité corporelle et raciale, offrant ainsi des voies de résistance et de réinvention.)


La Renaissance, avec des artistes comme Botticelli, Ingres ou Courbet, n'a fait que renforcer l’instrumentalisation du corps féminin. Les figures telles que les Vénus de Botticelli ou les odalisques d'Ingres ne sont pas seulement des sujets artistiques ; elles incarnent un regard masculin hétérosexuel qui transforme la femme en objet de plaisir visuel. Cette réduction de la femme à l’objet est ce que Bell Hooks qualifie de "male gaze", un regard qui fétichise et objectifie, perpétuant ainsi l'inégalité des genres et la domination patriarcale.


L'art du nu est pour moi espace d’émancipation

Face à cette longue tradition de représentation objectivante, les mouvements féministes des années 1970 ont redéfini le nu comme un espace de rébellion et d’émancipation. Des artistes comme Carolee Schneemann et Ana Mendieta ont investi leurs corps pour dénoncer la violence du patriarcat et se réapproprier une image dénaturée. Schneemann, dans sa performance Interior Scroll (1975), où elle extrait un rouleau de papier de son vagin, défie ouvertement la vision réduite et passive de la femme. Mendieta, quant à elle, inscrit son corps dans la nature pour aborder à la fois la question de l’oppression coloniale et la violence liée à la domination de genre. Ces gestes, loin d’être anodins, sont des actes politiques. En réinvestissant leurs corps, ces artistes subvertissent non seulement les codes de l’art classique, mais ils montrent aussi que le nu peut être un terrain de lutte, de mémoire et de transformation.

Projets contemporains sur les réseaux sociaux : La manière dont l'art du nu est réinventé aujourd’hui, notamment avec l’essor des réseaux sociaux, est également importante. Dans un monde où le partage instantané et l'accès aux images sont inhérents à la génération actuelle, des artistes et créateurs explorent la dimension politique et sociale du corps nu de manière radicale. Les réseaux sociaux sont devenus des canaux à travers lesquels des artistes peuvent redéfinir les normes et célébrer des corps divers, en remettant en question les attentes traditionnelles vis-à-vis de la beauté, de la sexualité et du genre. La représentation visuelle en ligne devient un acte de résistance et un moyen d'affirmer des identités multiples.


La grossophobie : une oppression qui persiste

Aujourd’hui, la grossophobie structure encore nos représentations artistiques et médiatiques. La société moderne, obsédée par la minceur, invisibilise les corps gros, les stigmatisant tout en les réduisant à des images grotesques ou pathétiques. Cependant, comme le souligne la critique d’art Dominique Baqué, "l’art a la responsabilité de montrer ce que la société cache". L'art contemporain, en particulier à travers des figures comme Beth Ditto, ou les performeuses du collectif Venus s’épile tel la chatte, met en lumière ces corps marginalisés et dénonce la violence symbolique subie par les corps non conformes. Leurs performances et photographies ne cherchent pas simplement à inclure ces corps dans un canon existant, mais plutôt à détruire ce canon et à en construire un autre, plus inclusif, où tous les corps trouvent leur place. Ces artistes ouvrent la voie à une nouvelle forme de nu, qui ne cherche pas à conformer les corps à un idéal esthétique, mais à célébrer leur diversité et leur dignité intrinsèque.


(En raison de l’envergure du sujet, il m’est difficile de traiter la question de la grossophobie sans risquer de me perdre dans les multiples facettes qu’elle recouvre. C’est un thème qui touche à tellement d’aspects de notre société – des normes de beauté imposées par les médias à l’histoire des corps marginalisés, des enjeux psychologiques aux discriminations sociales, économiques et professionnelles – que l’on finit par se perdre dans l’étendue de ses ramifications. Ce n'est pas un sujet simple à aborder, mais je m'efforce de le faire de manière réfléchie et avec soin. L'article à venir sera donc le fruit d'une réflexion approfondie, et j'espère pouvoir offrir une analyse qui puisse éclairer cette problématique de manière à la fois nuancée et pertinente.)


Les corps racisés, historiquement effacés ou exotisés, ont également été relégués à un statut d’altérité ou d'érotisation coloniale. Les odalisques de Delacroix ou les figures noires dans les œuvres de Manet ne sont que quelques exemples de cette dynamique. Ces corps, souvent réduits à des objets de désir ou à des figures exotiques, sont pris dans le regard européen colonial qui les approprie, les possède et les réduit à l'altérité. Cependant, des artistes contemporains comme Zanele Muholi et Kehinde Wiley retournent ce regard colonial. Muholi, à travers ses photographies de personnes noires queer, lutte pour une visibilité radicale, s'opposant aux narratifs dominants qui effacent ou déforment l'image des corps racisés. Wiley, quant à lui, récupère les codes de la peinture classique pour remettre les corps noirs au centre de l’histoire de l’art, redonnant aux sujets racisés une place dans une tradition artistique qui les a longtemps ignorés ou marginalisés.


(Je parle beaucoup de "L'odalisque", car pour moi il s'agit d'une figure emblématique de l’histoire de l’art, a traversé les siècles en incarnant "un idéal de beauté féminine" lié à la fois à des canons esthétiques et à des dynamiques de pouvoir et de désir comme on essaye de déconstruire à travers les articles ici. Originaire de l’Orient et popularisée par l’art occidental, cette figure a pris des significations différentes selon les époques, mais elle a toujours servi de miroir aux valeurs et aux normes sociales de chaque période. L’odalisque, cette femme souvent dénudée, allongée ou somnolente, est une figure paradoxale : à la fois objet de désir et symbole de soumission, de luxe ou de liberté. Cependant, à travers son évolution, elle révèle aussi les tensions entre la domination masculine, l’idéalisme esthétique et la représentation des corps féminins dans l’art...un projet arrive autour des Odalisque et des règles.)



Pour clôturer l'article 2 Le corps nu n’a jamais été neutre. Il a toujours été le reflet d’une société qui s’efforce de contrôler les corps, de les classer, de les opprimer. Cependant, les artistes engagés – qu'ils soient féministes, décoloniaux ou queer – ont montré que cet espace de la nudité peut être réinvesti, non seulement pour dénoncer les oppressions, mais aussi pour imaginer de nouvelles formes de vivre ensemble. Le nu devient ainsi un levier de critique sociale et politique, un cri de révolte contre les structures dominantes.

L’art ne doit pas simplement représenter le monde ; il doit le transformer. Et c'est dans cette perspective que les artistes contemporains réinventent le nu : non plus comme un objet de contemplation figé, mais comme une réflexion dynamique sur le corps, le pouvoir et la liberté. À travers leurs œuvres, ces artistes nous invitent à voir, non pas un corps conforme et idéalisé, mais des corps divers, multiples et résistants.




Liens vers les artistes mentionnés :

Sources supplémentaires :

  • Bell Hooks – The Will to Change: Men, Masculinity, and Love

  • Dominique Baqué – L'art contemporain : Une esthétique du corps


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